Les programmes actuels de CRM sont à bout de souffle : coûts de gestion importants, efficacité réduite, orientation commerciale à court terme, surabondance sur le marché et saturation côté consommateurs…
A l’ère du web 2.0, du mobile et des réseaux sociaux, comment doit évoluer la gestion de la relation client dans les entreprises ? Suffit-il de rajouter des briques « sociales » et « mobiles » à l’existant, ou faut-il revoir l’ensemble de la démarche ?
Le passé éclairant l’avenir, il peut être utile de confronter les principes des programmes actuels à la réalité du vécu et des besoins des consommateurs avant de s’interroger sur les pistes possibles d’évolution.
Sur quoi repose le paradigme actuel de la fidélisation et du CRM?
Le principe de base est la notion que la fidélisation rapporte, car les clients plus fidèles coûtent moins chers à l’entreprise. Même sans remettre en cause la manière dont ces calculs sont faits et quels coûts sont pris ou non en compte, on peut déjà constater que la notion de fidélisation peut s’interpréter de différentes manières. Sous l’impulsion de l’industrie informatique et de conseil associée, c’est une interprétation programmatique qui a dominé le marché, s’incarnant dans les programmes de CRM qu’on connaît, associés à des cartes de fidélisation et à des bases de données qualifiant le profil et le comportement des clients, et permettant ainsi un ciblage qui se veut personnalisé à défaut de l’être réellement. De manière concomitante, l’externalisation croissante des prestations de service client a associé de fait la gestion de la relation client et la dimension « relationnelle » dans les entreprises à la fidélisation type « programme CRM ».
Contrairement à certains discours affichés, cette vision est une interprétation essentiellement INCITATIVE de la fidélité, et non RECONNAISSANTE de cette dernière : or la dynamique n’est pas du tout la même dans chaque cas. Au lieu de reconnaître le comportement réel et passé d’achat, le CRM programmatique est essentiellement tendu vers l’optimisation du PROCHAIN achat par opposition à l’optimisation de l’achat actuel.
Cette vision repose sur une conception linéaire et cyclique du parcours d’achat, où le rôle des différentes fonctions de l’entreprise (commerciaux, marketing/communication, marketing direct/CRM, SAV…) est clairement défini selon le parcours d’achat théorique du client final : importance de l’image de marque pour inciter à l’achat, renseignements pré-achats, achat, incitation au réachat via la carte de fidélisation et l’intégration au programme de CRM, et la boucle est bouclée au prochain achat qui a plus de chances de survenir auprès de la même marque grâce aux incitations envoyées par le dit programme, selon des simulations et des analyses attitudinales dont l’efficacité n’est toujours pas démontrée.
C’est une relation en mode PUSH à sens unique, sans capacité d’écoute des messages périphériques envoyés par le consommateur. C’est la marque qui donne le rythme, en bombardant le client de communications, en envoyant des incitations à l’achat…. et en voyant la réaction (ou pas) des clients ainsi ciblés. Ce que les clients ont pu exprimer par ailleurs, que ce soit à travers leur historique d’achats, leurs contacts avec le centre d’appels de la marque ou avec des commerciaux en boutique, n’est ni identifiable ni réutilisable. Un peu comme un sonar qui ne peut interpréter que les sons qui lui sont renvoyés selon une direction unique, pas à 360°.
Enfin, c’est une relation de fidélisation CONDITIONNELLE : vous aurez 10% de moins sur tel produit si vous achetez avant le temps T… comme si dans un couple, la dame a droit à un bouquet de roses si elle rappelle le monsieur avant la fin de la semaine… imagine-t-on les vrais ferments de la fidélité se développer ainsi ?
Quelle est la réalité du vécu et des besoins consommateurs ?
Un client ou consommateur est d’abord ce que son nom même l’indique : une personne en situation, ou en recherche, d’achat (ce qu’on semble redécouvrir aujourd’hui avec la dénomination plus « sexy » de Shopper).
Un client cherche donc en priorité la satisfaction de sa recherche, c’est-à-dire le meilleur achat possible pour lui : le bon produit (meilleur rapport qualité-prix) et le bon service (le meilleur confort possible de l’acte d’achat). L’enjeu pour lui est donc de trouver la réponse la plus adaptée à sa demande immédiate, en période de recherche – pendant laquelle il peut être relativement réceptif aux propositions proches de sa recherche.
Hors période de recherche par contre, un client… est-il toujours un client ? La sur-sollicitation, surtout quand le client n’est pas demandeur, peut inversement provoquer des comportements de rejet.
Ces deux comportements sont notables d’autant plus que les sollicitations publicitaires et promotionnelles sont devenues très nombreuses, et ont été largement démontrés sur le web : d’un côté aveuglement prouvé aux bannières publicitaires, chute des taux d’ouverture des emailings et newsletters par exemple, déclin des programmes de fidélité, de l’autre succès des aides au choix et à la recherche (Google / liens sponsorisés, portails aggrégateurs d’informations, forums…)
Le CRM programmatique actuel risque donc le décalage permanent avec les besoins des clients :
– Il leur propose HORS SITUATION des avantages qui ne les intéressent pas
– Et ne leur permet pas de retrouver EN SITUATION les avantages qui seraient susceptibles de les intéresser
La situation est d’autant plus insatisfaisante pour les consommateurs que sous l’impulsion des nouvelles technologies et des e-commerçants, et surtout des pure players (Amazon, ebay, pour citer les précurseurs…), de nouveaux types de services apparaissent qui modifient ainsi les attentes et le niveau d’exigence général :
– Le parcours d’achat « classique » n’a plus lieu d’être (si tant est qu’il ait réellement existé) : les allers-retours sont non seulement multiples sur le web avant l’achat, mais également entre le web et les boutiques physiques ; bien souvent, on peut même aller en boutique se renseigner, pour finir par acheter sur le web !
– La technologie permet de recréer sur le web des services de « proximité » (à l’image des commerces de proximité) en contexte d’achat:
- La reconnaissance du client
- Des recommandations contextuelles ou en fonction de son historique d’achats
- Des offres promotionnelles plus adaptées
- Des conseils et suggestions d’utilisation
- Des services additionnels (wish lists, etc.)
Comment une entreprise peut-elle se mettre en phase avec ses clients dans ces conditions?
Les entreprises ne peuvent se mettre en phase avec leurs clients qu’en changeant de posture relationnelle globale : c’est une vision différente de la fidélisation qui doit se faire jour, et qui doit permettre d’installer une dynamique différente de la relation avec le client : une sorte de valse à 2 temps, en action – réaction permanente et réciproque. La relation elle-même doit se faire en co-création avec les clients, en leur laissant la place de s’exprimer et en permettant l’intégration de leurs actions dans les échanges au moment nécessaire, c’est-à-dire en parcours ou en situation d’achat :
– Nécessité de synchronisation avec le client
– ECOUTE et accompagnement du client: c’est autant lui, sinon principalement lui, qui doit imprimer le rythme ; la marque doit être capable de réagir en fonction des besoins qu’il exprime, en lui redonnant du même coup une part de contrôle et de pouvoir de décision
– Le relationnel doit être incarné par l’ensemble des points de contact (Call center, boutiques physiques, web…), et non par les seules équipes de marketing direct / CRM
– Revalorisation de la vraie fidélité en reconnaissant les comportements fidèles (après X achats ou Y montant dépensé), donc d’un nombre limité de clients, plutôt qu’incitation de tous à une fidélité éphémère dès le premier achat
Cette vision doit pouvoir s’incarner à chaque acte d’achat, et non entre les actes d’achats, comme pour le CRM plus « traditionnel », car c’est la réussite de l’achat qui fidélise, et qui est le meilleur ferment de la fidélité : « je pense réacheter chez X parce que j’ai été très satisfait de mon expérience précédente » plutôt que « je pense réacheter chez X parce qu’ils me proposent 20% de moins si j’achète maintenant »
La majorité des consommateurs n’aime pas changer ses habitudes : une fois celles-ci prises quelque part, il faut créer une vraie différence pour les en déloger ; si certains se laissent tenter par des prix plus agressifs, la majorité ne change pas de « fournisseur » à chaque achat pour tous ses achats… à moins de n’être pas vraiment satisfaite de l’expérience réalisée. Les ferments de l’infidélité des consommateurs sont donc tout aussi présents dans la concurrence du marché que dans le piètre service global de leurs fournisseurs les plus récents !
Dans cette nouvelle vision de la fidélisation, c’est donc l’acte d’achat, et par extension chaque contact avec la marque, qui est une opportunité de fidéliser, s’il s’avère satisfaisant pour le client ; la vraie fidélité commençant à apparaître au bout d’un certain nombre de ré-achats satisfaits – ce qui ne signifie pas forcément que tout s’est parfaitement déroulé à chaque fois, mais plutôt que les incidents s’il y en a eu ont été correctement résolus, une bonne gestion de l’insatisfaction étant une source de satisfaction pour le client.
De la vision à l’exécution : comment cela peut-il s’incarner concrètement ?
La fidélisation n’est plus un objectif parmi d’autres attribué à une équipe donnée ; c’est un enjeu global de l’entreprise et de chaque employé, nourri par chaque interaction avec le client et particulièrement les interactions transactionnelles, qui correspondent aux enjeux les plus importants pour les consommateurs !
Les impacts de ce changement de perspective peuvent s’exprimer à différents niveaux. En voici quelques exemples, qui sont loin d’être exhaustifs :
Au niveau organisationnel :
– Des rôles et responsabilités repensés pour le marketing, et notamment au sein des grandes entreprises qui scindent marketing de la « marque » et marketing direct « client » : peut-on vraiment continuer à séparer les responsabilités ainsi ?
– Un rôle repensé pour le service client, call-center, ou les différentes équipes en relation avec les clients : un service aussi stratégique peut-il continuer à être délocalisé pour les moindres coûts ? Un service délocalisé peut-il offrir le même niveau de prestation que si réalisé par les employés de l’entreprise ?
Au niveau informatique / système d’information :
– Des logiciels capables de se « parler », et de relayer en temps réel ou aussi rapidement que possible l’information issue de n’importe quelle source de contact avec le client
Au niveau financier / stratégique :
– Des objectifs et des indicateurs de gestion différents
Au niveau marketing / études :
– Une utilisation différente des données et des cartes de fidélisation ; dans cette approche on se rend compte que ce n’est pas tellement le contenant qui pose problème (que la carte soit dématérialisée ou pas est-il un vrai enjeu ?…), mais plutôt les raisons pour lesquelles on l’a, ce qu’elle nous procure comme avantages, et pourquoi on la garde / l’utilise ou pas :
> La carte n’est pas donnée à tout le monde, et certainement pas après le premier achat
> En attendant de pouvoir avoir droit à certains avantages, ce n’est pas au client de « prouver » sa fidélité, c’est à l’entreprise d’être capable de la reconnaître : réfléchir à des manières d’identifier le client de manière transparente pour lui
> Une relation non conditionnelle de la fidélité : quand les clients ont la carte, ils ont de fait droit à certains services, …
Au niveau marketing/commercial, de nouvelles offres de produits/services :
– De proximité et/ou en situation d’achat : des offres contextuelles en rapport avec la consommation du client, plutôt qu’avec les seuls désirs des marques (par exemple, une acheteuse systématique de couches X pourra avoir droit, à chaque cinquième paquet acheté, à une réduction immédiate en caisse grâce à ses points de fidélité, plutôt qu’à un bon de réduction à valoir sur son prochain achat pour une marque différente !)
Au niveau SAV :
– Une marge de manœuvre laissée au responsable de clientèle, comme à un commercial, pour pouvoir ajuster les offres ou services dont il dispose au réel besoin et à la demande immédiate du client, et en fonction de sa fidélité démontrée
En conclusion, la relation et la transaction ne sont pas deux domaines différents et dissociés de l’interaction entre une marque et son client : la qualité de la relation est intimement liée à la réalisation de la transaction… car c’est pour cela que les clients rentrent en relation avec les entreprises ! Pour leur acheter un produit ou service, pas pour boire un verre, faut-il le rappeler ? Dans une économie d’abondance et de sur-sollicitation des consommateurs, miser sur une approche fidélisant les clients plutôt que sur la conquête permanente peut sembler un risque ou une vision de long terme que les actionnaires recherchant la rentabilité à court terme ne permettraient pas, même si les dirigeants en étaient convaincus. Ce serait témoigner néanmoins de plus de lâcheté et de peur que d’intelligence stratégique, car les consommateurs ne sont guère dupes très longtemps du véritable service que leurs différents fournisseurs leur apportent… et quelle meilleure manière d’optimiser les coûts que de laisser ses propres clients participer à une certaine conduite de l’entreprise ?