Comment dynamiser son marketing personnel : le business model canvas appliqué au personal branding

Savoir « se vendre » est devenu un enjeu majeur dans les sociétés occidentales au taux de chômage de plus en plus élevé, et la thématique du « personal branding » ou marketing de soi a encore de beaux jours devant elle. Au-delà du jargon et des applications caricaturales qui peuvent en être faites, force est de constater qu’une personne claire et précise dans sa présentation professionnelle, qui sait ce qu’elle veut et où elle va, marque toujours davantage les esprits qu’un individu embrouillé, très généraliste ou qu’on n’arrive pas à associer aux besoins du moment.

Or une grande partie des demandeurs d’emploi, cadres en transition, indépendants malgré eux, consultants par obligation, ou wannabee entrepreneurs, se figent dans une (re)présentation de leurs compétences passées (qui les rassure, ça se comprend), et ont du mal à se mettre dans une posture dynamique de proposition de services, qui serait pourtant la plus à même de leur générer de l’activité.

Ayant eu l’occasion récemment de visionner une conférence d’Oussama Ammar sur le business model canvas expliqué aux start-ups (que je vous recommande par ailleurs pour son pragmatisme et son réalisme), je me suis dit qu’une transposition de cette approche et de ses recommandations à l’individu serait certainement intéressante à appliquer. Non pas pour la substituer entièrement aux outils traditionnels (CV, bilan de compétences etc.), mais pour en faire un complément qui oblige celui qui (se) cherche à se positionner, à se projeter dans une offre porteuse de valeur ajoutée par rapport à des clients et à un marché en mouvement.

Qu’est-ce que le business model canvas ?

Le business model canvas est un outil de positionnement stratégique qui permet à une start-up ou à une entreprise de définir les éléments clés de son business model (qui ne se limite pas à son modèle de revenu). Il est constitué des 9 parties suivantes, qu’on va détailler au fur et à mesure.

Le Business Model Canvas

1. Comment définir la bonne proposition de valeur ?

Le premier élément à préciser est votre proposition de valeur personnelle. Oussama Ammar (O.A.) recommande aux start-ups de se focaliser sur les problèmes à résoudre, plutôt que sur la solution qu’ils ont sous la main (car les solutions peuvent changer dans le temps, pour un même problème à résoudre). Ce raisonnement est aussi particulièrement pertinent pour les individus vis-à-vis de leurs entreprises cibles, quelque soit leur statut (chercheur d’emploi, consultant etc.) : par rapport à tous les problèmes que les entreprises rencontrent en ce moment, lequel cherche-t-on à résoudre ?

Prenons le cas d’un responsable marketing spécialiste de CRM. Se focaliser sur la solution équivaudrait à détailler toute son expérience en CRM, en espérant que dans le lot il y ait une expérience qui intéressera son interlocuteur. Se focaliser sur le problème à résoudre l’amènerait plutôt à se renseigner sur l’entreprise qui l’intéresse, et à proposer des solutions ciblées : « Vous semblez avoir des problèmes d’acquisition, pour X et Y raison ; j’ai étudié la question et je peux vous aider » ou « Votre situation concurrentielle et l’évolution du marché doivent mettre vos outils en situation critique, avez-vous une base consolidée ? Avez-vous une approche multi-canal ou êtes-vous limité… ? J’ai eu l’occasion de travailler là-dessus… ».

Raisonner sur le POURQUOI et le problème à résoudre n’empêche pas de parler de la solution = de son savoir-faire, bien au contraire. Il permet de les positionner d’une manière plus pointue et plus pertinente, une fois la connexion établie avec l’interlocuteur à travers la discussion autour des problèmes qu’il rencontre, et qui l’intéressent à lui en premier lieu!

Selon votre objectif ou votre expérience, le problème à résoudre sera plus ou moins «technique» et lié à des compétences métier. Certains interrogeront peut-être le système de valeurs de l’entreprise, sa culture, ses croyances et son mode de management, quand d’autres s’intéresseront aux bonnes acquisitions à faire, selon le niveau hiérarchique de l’interlocuteur évidemment.

Car la réflexion autour de sa proposition de valeur personnelle permet aussi et surtout de se rendre compte des problèmes qui nous intéressent plus particulièrement, ceux auxquels on a envie de s’attaquer et ceux qui ne nous intéressent pas tant que ça. Là réside la vraie vertu de l’exercice, car qui trop embrasse mal étreint et on sera plus performant dans ce qui nous plaît vraiment !

2. Définir le bon segment de clientèle

QUI a ce problème, et qui a absolument besoin de le résoudre ? O.A. cite le cas des applications de diagnostic médical qui ciblent d’abord les marchés sans médecins (déserts médicaux, pays émergents…) pour faire leurs preuves et se développer, car elles n’intéressent pas pour l’instant les patients dans les régions bien équipées médicalement.

Pour l’individu, le bon segment de clientèle équivaut à un double ciblage : le bon profil d’entreprise, et le(s) bon(s) interlocuteur(s).

Cet exercice est difficile, car il faut regarder la réalité en face et ne pas se nourrir d’illusions. Je pense particulièrement à une catégorie de personnes que je rencontre souvent, des cadres expérimentés quadragénaires ou quinquagénaires, qui cherchent encore un CDI dans des grands groupes après avoir perdu ou quitté leur précédent job… A part quelques exceptions, en France tout du moins (si vous avez fait l’ENA, ou si vous avez une compétence particulière très recherchée), c’est une voie qui mène rarement à un résultat, et quel temps perdu avant d’accepter de se repositionner et de cibler d’autres tailles d’entreprise (PME, ETI…) ou de se présenter différemment (consultant, manager de transition, formateur…).

Il faut donc bien définir sa proposition de valeur personnelle par rapport au marché pour identifier le segment qui sera le plus propice à acheter vos services.

Comme les start-ups, vous pouvez élaborer votre réflexion par exemple par rapport à la courbe d’adoption de l’innovation:

La courbe de l'innovationSi vous êtes un expert ou un passionné des réseaux sociaux et que vous avez 25 ans, vous avez toutes les chances de pouvoir intégrer une agence de communication ou une équipe marketing chez un annonceur grand compte. Si vous avez 45 ans, vous aurez beaucoup plus de possibilités d’activité en vous établissant comme consultant-formateur, ou en créant votre agence…

Selon votre âge, votre degré d’expérience et la nouveauté/rareté de vos compétences, ou dans quels secteurs vous les avez pratiquées, les entreprises à cibler ne sont pas les mêmes, et une étude de marché peut s’avérer utile et nécessaire avant de vous mettre en action.
Assurez-vous d’échanger avec des interlocuteurs qui savent de quoi ils parlent, et qui vont vous relayer des faits et non des opinions ou des on-dits, souvent démoralisateurs et inhibiteurs. Par exemple, si on reste sur l’exemple des réseaux sociaux, ces derniers n’ont pas trouvé le même écho auprès des différents secteurs d’activité, certains s’en sont emparés avant d’autres. En observant les statistiques du marché et la courbe d’adoption de ces usages, cela peut donner des opportunités de ciblage intéressantes qu’une étude de marché permettra de valider ou d’invalider rapidement.

Comme les start-ups qui, grâce à Internet, peuvent aujourd’hui « vendre » leur produit avant même de le fabriquer, ce qui réduit considérablement les coûts de test, vous pouvez faire de même : testez différentes propositions de valeur sur différents interlocuteurs, présentez-vous sous différents angles, et vous verrez bien ce qui accroche plus ou moins votre audience. C’est un bon exercice de mise à distance de l’ego, qui oblige à se détacher de soi pour se rapprocher des besoins du marché tels qu’ils sont.

Comme dans le milieu des entreprises, les barrières à l’entrée pour telle fonction ou telle prestation s’amenuisent de plus en plus : les diplômes ne garantissent plus grand-chose, les années d’expérience non plus. La majorité du marché est un marché d’offre, dans lequel on ne vous cherche pas : c’est à vous d’émerger et de créer le besoin qu’on aura de vous !

3. Quels canaux de contact investir ?

Une fois qu’on a la bonne proposition de valeur, et le bon segment cible, se pose la question du bon canal. Un canal, pour une start-up, est un moyen de contact qui permet d’atteindre un maximum de ses utilisateurs. Le bouche-à-oreille peut être un canal, si vous faites quelque chose d’exceptionnel que tout le monde s’arrache. Pour la majorité des gens, la meilleure manière de trouver les bons canaux de contact reste encore de les essayer, de les pratiquer, de mesurer ceux qui marchent et ceux qui ne marchent pas, et d’optimiser ainsi sa prospection personnelle.

Si les conseils des uns et des autres peuvent être utiles, en fin de compte, rien ne vaut sa propre expérience, à condition de ne pas s’enfermer par principe dans certaines pratiques.

A titre personnel, par exemple, tout au long de mon parcours professionnel, j’ai eu l’occasion de trouver du travail ou des clients grâce à une large panoplie de canaux : réponse à une offre d’emploi, candidature spontanée, cabinet de recrutement, recommandation/réseau, conférence, réseau social… Il n’y a pas de bon et de mauvais canal, il y a ce qui fonctionne pour soi, selon où vous en êtes de votre parcours, en gardant du bon sens et du pragmatisme : on n’est jamais mieux servi que par soi-même, n’attendez donc pas tout des annonces et des cabinets de recrutement !

4. Définir son approche de la relation client

La transposition qui me vient à l’esprit dans ce cas, est plutôt liée à la qualité de la relation avec les différents interlocuteurs que l’on a tout au long de sa recherche, qui peuvent d’ailleurs, un jour ou l’autre, devenir des « clients » à vous. Etant moi-même souvent sollicitée pour des « entretiens réseau » (bouh quelle est moche cette expression), j’ai constaté au fil de la démocratisation de cette pratique et de l’augmentation du taux de chômage, une « consumérisation » de ces rencontres, où l’on a bien souvent le sentiment d’être consommé comme un bout de réseau comestible qu’on jettera aux oubliettes s’il ne s’avère pas utile dans les semaines qui suivent. Donner un feedback, donner des nouvelles quelque temps plus tard ou quand la recherche aboutit, se rendre disponible pour une aide réciproque… sont autant d’éléments de qualité de relation qui se réfléchissent, s’anticipent, s’organisent, et avec le temps, vous valorisent différemment et grandement par rapport à d’autres.

5, 6 et 7 : Activités, partenaires et ressources clés

Pour une start-up sans beaucoup de moyens, il s’agit de faire les bons choix concernant les activités clés de la société qu’elle doit réaliser elle-même, et les activités moins stratégiques, qu’elle choisit d’externaliser et de confier à des partenaires de confiance (ex : comptabilité, juridique, certains développements informatiques, relations publiques, etc.). Les ressources clés étant les personnes ou moyens stratégiques sur lesquels investir pour conserver sa position sur son marché.

Pour un individu, les activités clés seraient vos principaux savoirs-faires, ce pourquoi on vous embauchera ou fera appel à vos prestations, et que vous serez amené à faire directement vous-même. Identifiez bien vos savoirs-faires clés, ceux qui sont votre force et que vous devez entretenir. Le reste, vous pourrez le déléguer à vos collaborateurs ou le sous-traiter à des partenaires. Cet exercice peut aussi vous révéler les savoirs-faires qui vous manquent et que vous devez développer pour tel poste ou telle mission. Les ressources étant les moyens de production de l’activité, il s’agira dans ce cas des moyens d’entretien et de développement de son savoir-faire : veille, nouveaux projets, publications, bénévolat, participation à des associations professionnelles, enseignement, etc. Mais vous pouvez aussi considérer que vos ressources clés sont dans d’autres domaines, par exemple un certain équilibre de vie, le besoin de faire du sport, du temps passé en famille… Le fait d’en prendre conscience peut vous permettre de vous organiser pour ne pas négliger ces ressources qui font votre force, et qui si elles sont affaiblies peuvent au contraire devenir votre talon d’Achille…

8. Coûts de structure

Pour une entreprise, tous les éléments précédents, une fois bien définis, permettent de définir des coûts de structure. Au passage, O.A. considère que le business plan ne sert à rien, et je partage parfaitement son avis, ayant eu l’occasion d’en voir l’inutilité un certain nombre de fois ! Un business plan est un exercice théorique partant de revenus futurs potentiels construits avec des hypothèses irréalistes. Il vaut beaucoup mieux faire un exercice rigoureux de budgétisation en partant des coûts fixes certains qu’on va avoir, et des coûts variables probables, pour déterminer une ligne de flottaison de la survie de votre activité (à partir de laquelle vous pourrez faire différentes hypothèses).

A quoi cela nous sert-il dans l’exercice en cours ?

Cela peut être utile dans le cas d’un repositionnement : quelqu’un qui souhaite changer d’activité, ou créer une activité nouvelle, et ne sait pas comment réfléchir aux revenus nécessaires, car ses repères ne sont plus les mêmes. Plutôt que de faire des plans sur la comète (= un business plan), dans ce cas, il peut être utile de repartir de ses propres coûts fixes et variables (de combien on a besoin pour vivre, etc.), pour définir un seuil de survie et pouvoir également ajuster son projet en fonction.

9. Sources de revenus

Pour une start-up, la réflexion sur la valorisation monétaire de son activité et les sources possibles de revenus ne doit se faire qu’en dernier lieu, après avoir défini l’ensemble des éléments du business model, éléments tous liés entre eux et interdépendants, cette cohérence étant la condition de la valeur ultime.

A l’échelle d’un individu, la question de la « valeur » se pose tout autant, car pour un même poste ou une même mission, selon l’ensemble de votre « business model » personnel, vous pourrez faire varier votre rémunération (on ne choisit pas forcément les recrues ou les prestataires les moins chers). Les éléments fixes, variables ou autres types d’avantages souhaités ou non sont autant d’éléments sur lesquels réfléchir en amont peut éviter quelques désagréments en aval.

En conclusion, cet exercice, même un peu artificiel à certains endroits, a le mérite d’offrir un autre point de vue sur des problématiques que nous rencontrons tous, et ce faisant, peut aider à débloquer des idées ou à identifier de nouveaux axes de réflexion autour de son positionnement personnel. Cerner sa valeur ajoutée réelle, celle qui fait votre spécificité et votre unicité, n’est pas simple, et cet outil peut être bienvenu dans cette réflexion… Bon « canvas », et toute suggestion complémentaire d’application ou d’interprétation est la bienvenue !

Et pour ceux que ça intéresse, je m’étais appliquée à faire un exercice similaire il y a quelques années, mais inversé : le bilan de compétences appliqué aux entreprises. Toujours d’actualité pour toutes ces entreprises qui (se) cherchent sans (se) trouver…

 

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