Big Data, drones et capteurs connectés: les enjeux numériques de l’agriculture

Discrètement mais sûrement, l’agriculture est en pleine transition numérique. Ses enjeux ne diffèrent pas de ceux des autres secteurs, mais s’il y a bien un secteur où le maître mot du numérique est l’utilité et le service rendu à l’agriculteur, c’est bien celui-là. Il suffit d’y voir les premières applications de drones déjà à l’oeuvre, sans parler des stations-météo connectées ou autres machines robotiques dotées de capteurs intelligents pour des projets d’avenir tels que le phénotypage haut débit.

Derrière les nouveaux modèles de distribution courts le plus généralement diffusés par les médias pour associer numérique et agriculture, se dessinent des enjeux autrement plus majeurs pour le secteur, comme le contrôle des gigantesques quantités de données nouvellement captées.

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Dans le cadre du SIMA 2015 (le salon mondial des fournisseurs de l’agriculture, qui se tient en parallèle du salon de l’agriculture), j’ai eu l’occasion d’interviewer Mehdi Siné, de l’Institut du Végétal Arvalis, sur l’ensemble de ces sujets. En tant que chef du service Systèmes d’Information et Méthodologies d’Arvalis, c’est un acteur et observateur au coeur de ces enjeux que je vous invite à découvrir dans cette interview.

Le contexte ne se prêtant guère à une vidéo, c’est une interview audio que nous avons réalisée et que j’ai illustrée d’un diaporama d’images illustrant les propos tenus.

 

Transcription intégrale de l’interview:

Mehdi Siné : Je m’occupe, chez Arvalis, de toute l’équipe qui traite l’information. Ca comprend l’équipe IT classique (ordinateurs, réseaux, etc.), l’équipe statistique (méthodologies de traitement des données), l’équipe des modélisateurs (ceux qui font des algorithmes derrière tous les outils qu’on développe, les bases de données aussi) et aussi une petite équipe en charge du matériel expérimental (matériel agricole adapté à de petites parcelles).

Mehdi Siné, ArvalisYoumna Ovazza : Quelle est l’activité d’Arvalis ?

MS : Arvalis est un institut technique agricole, c’est-à-dire qu’on fait de la recherche appliquée, à l’interface entre l’INRA (recherche fondamentale) et les producteurs (qui appliquent sur leurs parcelles les recommandations de la recherche pour produire les cultures en quantité et en qualité en respectant l’environnement.

Les missions d’Arvalis sont de produire des connaissances à travers toutes les expérimentations qu’on conduit en parcelles, on ne s’occupe que des cultures. Il y a d’autres instituts pour les autres productions agricoles (élevage, pommes, fruits et légumes, etc.). Arvalis, c’est les grandes cultures : céréales, protéagineux, pommes de terre, maïs, fourrages, qui représentent 80% de la production agricole en France.

YO : Quels sont les enjeux numériques dans l’agriculture aujourd’hui ?

MS : Le numérique nous touche beaucoup, les producteurs agricoles et nous aussi en tant qu’institut technique. Je suis chargé cette année d’animer une mission interne autour de la transformation numérique, et donc on commence tout juste même si le numérique n’est pas né d’hier. L’agriculture n’est pas épargnée, les agriculteurs sont équipés d’ordinateurs de plus en plus et sont reliés à Internet de plus en plus et sont notamment beaucoup assistés en termes de conseil. Les premières choses qui ont été numérisées ont été tout ce qui tourne autour de la comptabilité, les logiciels sont arrivés chez les agriculteurs via la comptabilité, parce que les entreprises agricoles, ce sont d’abord des entreprises. Ils doivent respecter des contraintes réglementaires et dégager du chiffre, donc l’économie est un aspect très important. Et de plus en plus on voit le numérique envahir l’espace agricole au niveau du conseil technique, à travers les offres de services qui sont proposées aux producteurs, avec tous les outils du numérique.

A Arvalis on a été assez pionnier il y a une quinzaine d’années avec des premiers services qui valorisaient la prise d’image par satellite, par exemple , où on scanne les parcelles des agriculteurs avec des images satellite et on est capable en développant des algorithmes – c’est là qu’interviennent toutes les méthodologies qu’on est capable de mettre en œuvre et notre capacité à développer des algorithmes et des modèles à partir de nos connaissances sur les espèces – pour diagnostiquer l’état des parcelles. En cours de culture, on est capable de voir si certaines parcelles ont des carences, donc on a besoin d’y passer pour apporter des doses d’engrais, ou faire des diagnostics sur des maladies qui touchent beaucoup les céréales, donc l’idée étant qu’on doit aider les producteurs toujours à dégager ce chiffre d’affaires, donc les aider en quantité mais en qualité aussi en apportant la dose juste pour respecter l’environnement.

YO : Est-ce qu’il y a des enjeux côté commercial, ou ce n’est pas le cœur du sujet aujourd’hui ?

MS : Chez nous à Arvalis plus spécifiquement, les enjeux sont plutôt du côté de la recherche. Mais dans l’agriculture au sens large, ça commence, on a assisté ce matin à un colloque sur les drones. Typiquement ce secteur explose depuis 2/3 ans dans l’agriculture, il y a beaucoup d’offres de services commerciaux qui sont proposées aux agriculteurs, il y a énormément de start-ups qui se mettent sur les rangs. Bon ça va se structurer au bout de quelques années. Les coopératives, qui sont les organismes qui collectent et qui fournissent les agriculteurs, développent de plus en plus d’offres commerciales axées services, donc axées valorisation des données acquises par les producteurs et offre de services derrière, donc il y a vraiment des enjeux commerciaux forts.

Ils sont aussi tirés par tous les aspects environnementaux et contraintes réglementaires. Par exemple le ministre en place pousse beaucoup un concept qui s’appelle l’agro-écologie, et qui vise notamment à réduire l’utilisation des produits phyto-sanitaires. Il faut savoir que les produits phyto-sanitaires, pour tous les organismes qui fournissent les agriculteurs, les coopératives, c’est un enjeu économique énorme. Et si on décide de réduire de 50% le nombre de produits à épandre, toutes ces structures commerciales réfléchissent à développer d’autres services commerciaux, et leur regard se porte beaucoup sur l’accompagnement des agriculteurs pour les aider à continuer à produire avec des doses moindres d’intrants et il y a plein d’offres commerciales qui se mettent en place avec le numérique.

YO : Les enjeux que tu vois dans l’agriculture sont-ils spécifiques à ce secteur ou similaires à ceux d’autres secteurs d’activité ?

MS : Il y a des choses qui sont complètement en ligne par rapport à tout ce qu’on voit ailleurs. Typiquement, tout ce qui est autour de la mobilité. Les agriculteurs sont des hommes et des femmes comme les autres, ils sont presque tous aujourd’hui des smartphones dans la poche, donc beaucoup de services, gratuits ou payants, se développent sur les interfaces mobiles, les smartphones. Les tablettes aussi prennent une part très importante, on voit de plus en plus de tablettes qui arrivent dans les cabines des tracteurs par exemple. Il y a tout ce qui est autour des services géolocalisés : les tracteurs sont équipés de GPS, ils sont conduits tout seuls, aujourd’hui de plus en plus avec des barres de guidage : à partir d’une cartographie de la parcelle de l’agriculteur, le tracteur est capable de se piloter tout seul sur une parcelle, tout cela est beaucoup guidé par la vague des GPS qui est très fortement entré dans les mœurs et habitudes des agriculteurs.

YO : Les objets connectés ?

MS : C’est la prochaine vague, on commence à y travailler en tant qu’institut de recherche. Aujourd’hui on voit pas mal d’applications pour nous aider dans notre métier d’expérimentation et de recherche. Typiquement, on développe de plus en plus d’outils expérimentaux pour nous aider à moissonner beaucoup plus de données dans nos parcelles expérimentales et pour moi c’est le pilote de ce que sera l’exploitation de demain avec des objets connectés qui sont des capteurs connectés, capables d’émettre des données en temps réel, géolocalisées, directement dans la parcelle de l’agriculteur, pour avoir une information qui est complètement spécifique à la parcelle de l’exploitant.

 

Moissonneuse connectéeYO : Et c’est encore quelque chose de complémentaire aux drones ?

MS : Oui, c’est complètement complémentaire aux drones. Ce qui existe déjà depuis de nombreuses années et qui va encore continuer sa croissance, typiquement comme objet connecté hyper utile à l’agriculteur, c’est la station météo. Parce que la météo est le premier levier qui fait varier les conditions de production et de résultats d’une exploitation, s’il y a une mauvaise année ou une bonne année, en fait ce sont des années climatiques. Donc d’être capable de donner des conseils en temps réel au producteur sur la base des données météo que sa station est capable de récolter, est une grande avancée, il y a beaucoup d’attentes par rapport à ça. C’est un des tout premiers objets connectés. Et après il va y avoir tous les objets connectés qui sont embarqués sur le matériel, justement on est au SIMA, où il y a tous les constructeurs de matériel : moissonneuses connectées, semoirs connectés, charrues connectées, smart bineuses embarquant des caméras qui seront capables de savoir exactement sur les rangs des cultures où sont les mauvaises herbes et de positionner la bineuse là où il faut pour les enlever.

YO : C’est de l’agriculture de précision !

MS : Oui, exactement. Il y a des moissonneuses-batteuses pour avoir les cartes de rendement. Quand un agriculteur récolte sa parcelle, il fait en même temps une carte géolocalisée de sa parcelle, où il va voir ensuite les zones qui produisent le plus et les zones qui produisent le moins, pour mettre des intrants – ce qu’on appelle la modulation – en fonction des micro-zones qu’il y a dans une parcelle. Tout ça, c’est ce qui drive pas mal le numérique aujourd’hui. Il y a aussi des choses très grand public, comme les réseaux sociaux.

YO : Quel rôle jouent les réseaux sociaux pour les agriculteurs ?

MS : Les réseaux sociaux sont assez actifs au niveau agricole. Ce sont toujours des réseaux sociaux spécialisés, mais qui utilisent les vecteurs grand public : les pages Facebook et les comptes Twitter se développent beaucoup, avec des pages spécifiques agricoles ou des twittos spécifiques agricoles qui sont de plus en plus suivis. Moi aujourd’hui je regarde un peu tout ça, ce qu’on observe beaucoup sur Facebook, les grosses pages qui drainent beaucoup de monde, sont beaucoup sur le matériel. Ce sont des passionnés qui les animent, des community managers individuels qui arrivent à drainer beaucoup de monde. Gros Tracteurs Passion est la page Facebook la plus populaire sur l’agriculture.

YO : Que peux-tu nous dire sur les enjeux autour du big data et des données ?

MS : Là on est un peu en retard sur les Etats-Unis sur ces questions. On voit que ça y pose énormément de questions et de problèmes, depuis un an environ, où beaucoup de gens s’interrogent sur ces grands groupes de l’agro-fourniture qui proposent des services et qui moissonnent aussi quelque part les données produites par les agriculteurs. On parle de data privacy, les questions de propriété intellectuelle des données se posent. Encore ce matin, à la conférence sur les drones, il y a eu cette question, où très vite se pose au niveau des producteurs la question de l’appartenance de ces données ; les données prises par les drones, prises par nos moissonneuses-batteuses, par les logiciels embarqués sur le matériel ou sur les ordinateurs des agriculteurs et qui engrangent beaucoup de données… Tout ça n’est pas encore très très clair, aujourd’hui ça dépend encore des conditions générales d’utilisation que mettent les éditeurs, personne ne les lit vraiment… Je pense que ça va se structurer, l’Europe a l’air de s’emparer aussi beaucoup de ce sujet, dans les années à venir je pense qu’il y aura beaucoup de débats autour de cette propriété des données.

YO : Et le cloud ?

MS : Le cloud aussi est un sujet, peut-être pas au même niveau que ce qu’on peut voir pour le grand public, où les gens ont peur que leurs données filent aux Etats-Unis, quoique ça existe aussi… Typiquement je pense à un exemple : John Deere, qui est un des plus gros constructeurs de matériel de machinisme agricole, a développé ce qu’ils appellent MyJohnDeere.com, et là c’est typiquement le cloud. C’est-à-dire que tous les appareils John Deere qui sont produits engrangent des données remontées sur le cloud, accessibles pour l’agriculteur via son compte, mais en fait ce n’est pas sur son ordinateur, c’est sur le cloud. Et il y a beaucoup de flou sur ce que peut faire un grand constructeur, une grande entreprise à partir de ces données qui sont engrangées. Donc c’est ce qui a commencé à déclencher la vague de questionnements aux Etats-Unis sur la privacy : toutes ces données migrent dans le cloud, on ne sait pas trop où, on ne sait pas qui en fait quoi, on retrouve les mêmes questions que se pose le grand public par rapport à ça.

YO : Tous ces enjeux sont-ils partagés par l’ensemble des acteurs de la filière, ou certains types d’acteur sont plus concernés que d’autres ?

MS : Il y a 2 ans, j’aurais dit que le public était encore très confiné, aujourd’hui on est en plein dans la vague numérique. J’ai rencontré par exemple la semaine dernière le nouveau délégué à la transition numérique de l’INRA, qui a été nommé en début d’année 2015. Au niveau des instituts techniques, on se pose les mêmes questions, dans les chambres d’agriculture, dans les organismes stockeurs… Si je prends un exemple aussi, InVivo qui est la principale structure en France qui regroupe les grandes coopératives agricoles, fait beaucoup d’articles dans la presse, y compris dans la presse grand public, sur le Big Data agricole, et leur ambition est de valoriser les données, d’être sur cette thématique du big data agricole. Donc c’est assez général.

YO : Qui « pilote » la transformation numérique dans l’agriculture ? Ce terme a-t-il un sens, ou sinon comment cela se fait-il concrètement ? Est-ce que cela commence par l’achat d’un service, par le test avec un institut, est-ce qu’ils recrutent quelqu’un ?… Formations ou apprentissages sur le tas ?

MS : Aujourd’hui, on n’observe pas de bouleversements dans les organisations agricoles préexistantes. Je pense que les grands acteurs d’il y a 10, 20 ou 30 ans sont toujours là et c’est toujours eux qui guident les grandes orientations agricoles. Ils opèrent eux-mêmes cette transformation numérique, parce que je pense que l’agriculture a toujours eu ce regard finalement pas du tout arriéré sur la technologie, et tous les acteurs ont su prendre le virage quand il y avait des virages à prendre. Donc il n’y a pas eu l’émergence de nouveaux acteurs véritablement dans l’agriculture, et je ne pense pas que ça va être le cas.

YO : A part peut-être dans le modèle de vente directe aux consommateurs ? Mais ce sont de petits modèles ; c’est-à-dire les places de marché, les ventes directes des producteurs aux consommateurs…

MS : Leur impact est encore faible, mais il y a de nouveaux modes de consommation qui arrivent. Les locavores, les circuits courts, etc. poussent un petit peu l’agriculture à se réorganiser, mais ceci étant dit c’est extrêmement bien géré je trouve par les chambres d’agriculture qui sont les organismes consulaires d’Etat qui donnent les orientations agricoles. Par exemple, ils ont créé un réseau social qui marche très bien auprès du grand public, qui s’appelle Bienvenue à la ferme, qui accompagne les productions locales et le développement de tous les producteurs qui veulent vendre directement aux consommateurs, et qui proposent aussi des services annexes comme dormir à la ferme. Ca marche très bien et ce sont les chambres d’agriculture derrière. Donc encore une fois je pense que les grands opérateurs ont su se reconvertir et mettre en œuvre ces changements sociétaux.

YO : Y’a-t-il une problématique de budget liée à tous ces enjeux numériques, et cela favorise-t-il plutôt les gros aux dépens des petits et moyens ? Ou est-ce plutôt lié à un état d’esprit, et les banques suivent ?

MS : Aujourd’hui on ne le voit pas trop encore, mais c’est une grande inquiétude pour demain. Les gros, je pense notamment aux gros Américains, font d’énormes acquisitions un peu à la Google où ils achètent des start-ups qui sont spécialisées dans les data sciences, dans les algorithmes, dans la capacité à faire du vrai big data… Je pense à Monsanto qui fin 2013 a acheté une start-up qui s’appelle The Climate Corporation, 1 milliard de dollars, et c’était une petite start-up, c’était incroyable. Ces gros-là arrivent avec d’énormes moyens financiers, ils peuvent débarquer des Etats-Unis en France avec des offres de services révolutionnaires qu’ils pourraient proposer directement aux producteurs et qui pourraient modifier complètement notre organisation agricole, notre écosystème.

YO : Ce qui nous amène à la France. Par rapport à tous ces enjeux, la France est-elle plutôt en avance, dans la moyenne, en retard, par rapport à d’autres pays ? Sur le développement du numérique, la prise de conscience, la mise en œuvre ?

MS : La « chance » qu’on a en France par rapport à d’autres secteurs, c’est que l’agriculture reste quand même une question de territoire, d’abord, et le territoire ne va pas bouger, on ne va pas être envahi par les Américains ou les Chinois, on restera sur le territoire français. L’agriculture française est dans beaucoup de domaines championne du monde : on a un climat, un terroir exceptionnels, une diversité de productions agricoles unique, et en plus on a une société qui n’a pas envie d’avoir une agriculture à l’américaine avec en gros 3 fermes qui recouvriraient tout le territoire et qui enverraient des batteries de robots pour récolter tout ça. Ca reste une agriculture familiale, déjà : aujourd’hui les producteurs sont des familles, ils ont de petites exploitations, à peu près 150 hectares pour une exploitation moyenne en France. Donc à l’échelle des grands pays comme les Etats-Unis ou l’Australie, ce qu’on fait c’est du jardinage, par rapport à la vision industrielle que peuvent avoir les Américains. Ca je pense qu’on va le préserver, parce que c’est une volonté politique, sociétale, des professionnels de l’agriculture… Tout ça pour dire qu’on ne va pas être trop guidé par les avancées technologiques américaines, j’espère qu’on va être capable de prendre le meilleur et de ne pas prendre le reste. C’est aussi une profession très portée sur les technologies. Je pense qu’on est capable d’aller chercher des technologies qui sont adaptées à nos besoins.

YO : La manière de prendre le sujet sur les drones te paraît être le bon angle ?

MS : Oui, et on est sans doute parmi les leaders en ce qui concerne les drones au niveau mondial, parce qu’il y a plein de petites start-ups avec de bonnes idées qui arrivent et qui se mettent en place, et qui restent à cette échelle de proximité avec les agriculteurs, ce matin tous les dronistes parlaient de la proximité avec les producteurs. Et d’ailleurs une des sociétés qui présentait ce matin, ce qu’ils ont mis en place tout de suite pour développer leur business plan, c’est une sorte de réseau, ils appellent ça les Agridrones, un réseau d’agriculteurs qui opèrent eux-mêmes les drones.

AgriServiceYO : J’ai trouvé ce modèle très intelligent.

MS : Voilà, small is beautiful ; on va plutôt travailler un réseau avec notre petite structure, plutôt que d’envisager tout de suite une industrialisation. On n’est pas du tout dans ce schéma d’industrialisation et de grand regroupement avec Monsanto qui va débarquer et recouvrir toute la place.

YO : Pour toi quel est le rôle des médias et du grand public, en termes de sensibilisation, communication… les médias notamment, penses-tu qu’ils jouent ce rôle suffisamment dans l’image qu’ils donnent de l’agriculture, par rapport au grand public, ou au contraire n’en parlent-ils pas assez, pourquoi ?… Je parle de la dimension numérique, technologique.

MS : L’agriculture n’est pas un secteur qui passionne, j’imagine, enfin quand on regarde la télé ou qu’on écoute la radio, quand on lit les journaux, on ne voit pas l’agriculture tous les jours. Ceci étant dit, à partir du moment où tu manges, tu es impliqué dans l’agriculture, et beaucoup de gens ont tendance à l’oublier. On a tous besoin de l’agriculture, et c’est un sujet qui est finalement assez peu traité dans les médias généralistes. Alors c’est vrai que l’agriculture a sa propre presse, ses propres médias, mais dans la presse grand public, c’est très peu présent.

YO : Est-ce un enjeu du coup ? Pour Arvalis par exemple, est-ce un enjeu de partager davantage sur les nouvelles technologies et leur impact, ou ce n’est pas un sujet ?

MS : Si si, c’est un sujet. Alors il y a des structures du monde agricole qui sont spécialement là pour discuter avec les grands médias, mais oui c’est un sujet, parce que malheureusement on a un peu trop tendance à parler de l’agriculture dans les médias sous le volet environnemental et pollueur, pour le dire franchement, sans voir aussi tous les services rendus par l’agriculture, sans voir le côté innovant et la volonté des agriculteurs d’être innovants, d’être soucieux de la qualité des produits que chacun produit, et on a des produits exceptionnels je pense en France dans tous les domaines. Et du coup je pense qu’il y a un décalage entre la vision que peut avoir le grand public de l’agriculture et la réalité, et donc c’est un enjeu je pense pour toutes les sociétés qui travaillent dans l’agriculture aujourd’hui, d’avoir une part de leur activité dévolue à la communication grand public, parce que je trouve que c’est dommage, on a trop souvent une mauvaise image de l’agriculture qui n’est pas du tout en phase avec la réalité.

YO : C’est un savoir-faire d’innovation, autour du numérique, qui s’exporte ? Est-ce que ça intéresse d’autres pays qui viennent voir, par exemple pour les drones, ou est-ce que ça reste quelque chose de très national pour l’instant ?

MS : Alors la France n’est peut-être pas le pays le plus en pointe en matière d’exportation de son savoir-faire numérique. Autant c’est un pays leader au niveau mondial dans l’exportation de ses produits agricoles, et qui est reconnu mondialement pour ça, autant sur le numérique on va plutôt chercher des choses à l’extérieur qu’exporter des compétences. Après, c’est aussi notre politique. Si je parle d’Arvalis, on est financé par les agriculteurs français à 100%, et donc on travaille pour les agriculteurs français, c’est notre cœur de cible. Donc on exporte assez peu, mais on le fait dans le cadre de collaborations en partenariat, plutôt vers le milieu de la recherche. Donc on va monter des partenariats avec des pays européens ou d’autres nations, pour monter des partenariats de recherche. Au-delà du cadre strict de la recherche, je dirai que la France n’est pas aujourd’hui un pays exportateur de compétences et de technologies au niveau mondial.

YO : Aujourd’hui pour un agriculteur qui voudrait s’y mettre, ou qui n’est pas encore très engagé dans la transition numérique, quelles seraient pour toi les actions prioritaires ? Par où commencer ? Comment faire, de votre point de vue ?

MS : Ce qui guide l’adoption des technologies, c’est le service rendu. Nous c’est notre obsession, peut-être à la différence d’ailleurs d’autres instituts de recherche comme l’INRA qui est vraiment là pour faire de la recherche fondamentale et on ne mesure pas tout de suite les services rendus par les travaux de recherche, nous notre obsession c’est le service rendu aux producteurs. Donc on a des indicateurs assez simples, pour l’adoption d’une technologie, c’est : est-ce que ça va rendre service au producteur ? Est-ce que ça va le faire gagner en compétitivité économique, en qualité de travail, en niveau de production, en niveau de respect des contraintes environnementales ou réglementaires ? C’est ce qui fait qu’un outil qu’on délivre, parce qu’on en délivre un certain nombre, va être adopté ou pas : c’est s’il y a un vrai service. Je ne pense pas que les agriculteurs iront vers un service qui est juste fun et sympa à utiliser s’il n’y a pas derrière de service rendu. Ca reste des entrepreneurs et ils ont besoin d’un retour sur l’investissement qu’ils vont prendre pour adopter une nouvelle technologie.

YO : Et pour finir, pour toi ou pour Arvalis, quelles sont les perspectives ou les projets très intéressants sur lesquels vous allez travailler dans les prochains mois, ou que vous trouvez être très porteurs ?

MS : On est déjà dans le cadre d’un Projet d’Investissement d’Avenir, on appelle ça les PIA, qui sont financés par l’Etat ; le grand emprunt, qui avait été construit sous le mandat de Nicolas Sarkozy, servait des PIA. On est notamment sur un projet qu’on appelle le phénotypage haut débit, c’est en fait la capacité à pouvoir caractériser une plante non pas sous son aspect génétique, (là on va parler de génotypage), mais sous son aspect physique et son architecture. Et ça c’est une information très importante quand on est agronome, ça nous permet de mesurer l’état d’une culture, savoir si elle est plutôt en train de souffrir, si elle est en bonne santé, si elle se développe bien. Et on observe une grande variété entre les phénotypes, c’est-à-dire entre les structures des plantes. Nous on fait de l’expérimentation, c’est-à-dire qu’on a beaucoup de techniciens sur le terrain qui vont observer les plantes, pour bien les caractériser, et pour apporter un conseil aux agriculteurs le plus pertinent possible ; lui dire, si à tel endroit il utilise telle variété et selon les conditions climatiques, si la plante se porte bien ou s’il faut agir. Donc on est en train de mettre en œuvre des technologies numériques et robotiques, en utilisant des capteurs, pour mieux caractériser le phénotypage haut débit.

Typiquement on a développé un robot, qui s’appelle la Phénomobile, qui a été développé par notre équipe d’Avignon, et qui est en route depuis cette année et qui scanne toutes nos parcelles parce qu’elle embarque un grand nombre de capteurs dans sa structure et en passant au-dessus des parcelles elle est capable de phénotyper, c’est-à-dire de caractériser l’état des parcelles. Donc voilà un exemple.

YO : Concrètement, quand on a cette information, en tant qu’agriculteur, ça permet de faire quoi : de doser ? D’agir plus rapidement qu’en temps normal ?

MS : L’idée c’est d’aider, on parle d’outil d’aide à la prise de décision, ça reste l’agriculteur qui prend la décision et qui dirige son exploitation. Nous notre enjeu est de l’aider à prendre sa décision en se basant sur les données objectives, qui sont mesurées sur sa parcelle. D’où les objets connectés qui vont se développer, d’où l’intérêt d’avoir des technologies qui sont capables de mieux caractériser l’état des parcelles pour, en développant des algorithmes, des méthodologies de traitement de cette information qui a été acquise par les capteurs, de dire « Attention là il se passe quelque chose », donc c’est déjà d’opérer un diagnostic, avant d’agir il faut faire un diagnostic.

Donc les outils, les modèles, les capteurs, peuvent beaucoup aider à ce diagnostic, et grâce à la compétence et à l’expertise de nos ingénieurs, nous sommes capables de dire que dans telle situation, avec ces prévisions climatiques, avec cet état général des cultures ou des sols, l’expert est capable de dire s’il faut faire telle ou telle action. Je vais prendre l’exemple des maladies : il y a un état sanitaire de ces parcelles à mesurer, et si des maladies se développent sur une parcelle de blé par exemple, on est capable de le diagnostiquer grâce à des capteurs et à des modèles. Nous devons aider l’agriculteur à prendre la décision de traiter ou de ne pas aller traiter, pour qu’il intervienne au moment le plus opportun, avec la dose la plus juste, pour ne pas perdre toute sa récolte. On va donc développer des outils d’aide à la décision pour estimer les risques de maladies et pour l’aider dans sa prise de décision.

C’est la même chose pour une autre action qui est la fertilisation, qui est une action très importante pour que l’agriculture se développe bien, donc de lui dire quand il faut apporter de l’engrais, quel type d’engrais, quel jour, à quelle dose, et on l’a vu maintenant aujourd’hui, au niveau de la parcelle, on est capable de faire de la modulation intra-parcellaire, c’est-à-dire qu’on sait que dans une parcelle, il y a des zones qui sont complètement hétérogènes, il y a des endroits où il faut en mettre plus, il y a des endroits où il faut en mettre moins. Donc là les capteurs type drones ou satellites sont capables de nous faire descendre au niveau spatial à l’intérieur même des parcelles.

YO : Merci ! Veux-tu rajouter quelque chose qui te paraît important, qu’on n’a pas abordé ?

MS : En synthèse, je pense qu’il y a un gros enjeu autour des données, les données vont de plus en plus être produites chez les agriculteurs, parce qu’ils vont embarquer des technologies dans leur matériel, et qu’il faut que nous, en tant qu’institut technique, qu’on soit capable de valoriser ces données qui sont produites par les exploitants directeement sur leur exploitation pour qu’on leur apporte les conseils les plus pertinents. Donc c’est ça le Big Data agricole qui se dessine dans les années à venir, avec de plus en plus d’objets connectés qui vont générer une quantité importante d’informations, dont il va falloir bien définir les règles d’usage et la propriété.

Merci !

 

 

 

 

 

 

1 réflexion au sujet de « Big Data, drones et capteurs connectés: les enjeux numériques de l’agriculture »

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